SCULPTURES MONUMENTALES À LA FONDATION POPPY ET PIERRE SALINGER, LE THOR (84), 2009
Un jour, voilà peu de mois, je reçus un courriel de Raphaël Mognetti, m’annonçant qu’il préparait une exposition sur le thème du jazz. Une idée le guidait : le jazz et la liberté. Pour une musique inventée et développée par les Américains noirs, des descendants d’esclaves, beaucoup d’entre eux ayant subi les lois discriminatoires, tous en gardant une mémoire vive et douloureuse – Moins qu’un chien, s’intitule l’autobiographie de Charles Mingus, le prodigieux contrebassiste –, l’idée était excitante, percutante. Mais oui que le jazz est appel des énergies vitales, preuve et source de créativité, liberté conquise et offerte.
Raphaël Mognetti entretient avec le fer une relation intime, viscérale et sensible. Un poète de la vie. Certaines de ses œuvres sont sculptées dans la matière, comme extirpées de la terre, charnues sous le polissage ou puissantes du muscle du fer. La terre et le ciel. D’autres, découpées, aériennes, frappent par leur allégresse, leur légèreté, mariant le ludisme et la sensualité dans une pureté des formes et un équilibre achevés qui témoignent d’un vrai savoir et d’une maîtrise ne devant rien au hasard, néanmoins tout à l’imagination, à partir de maîtres au nombre desquels on reconnaît Calder. Des corps ne tenant sur le sol que par le point le plus infime possible, découpés et peints en noir, et des couleurs blanc, rouge, jaune, violet, pour la tête, un gant, des fruits. Des sculptures de l’élan rieur à la vie.
Il réalisa l’exposition, à Avignon, et j’eus l’occasion de voir les sculptures dans son atelier, devenues les maquettes des œuvres maintenant présentées. Magie ! Elles étaient immobiles et elles bougeaient. Les corps vivaient. Un rapport de l’homme à l’espace s’imposait. Plus troublant, s’entendait. Musique d’hommes qui inventent leur monde. Elles expriment une réalité métamorphosée, le pouvoir de l’imaginaire, pour offrir à ressentir. Ils sont rythmes, ces musiciens que l’on ressent ensemble. Hauts de trois à cinq mètres, superbement grands. Des lignes forces et des arrondis accordés en une géométrie qui tient du défi. Le pianiste couché sur son clavier, emporté par lui, bras tendu pour lancer un chorus. Le contrebassiste prêt à s’échapper, volant sur son instrument. Le trompettiste courbé pour être à l’unisson de la parole de la terre. Le joueur de tuba replié sur lui-même. Le batteur aux bras démultipliés diffusant l’énergie. Singuliers et par la création reliés. Visions concrètes, vibrantes, jubilatoires. Follement évocatrices du jazz. Une frénésie retenue ou déployée. Cette liberté unique d’être, célébrée.
Micheline B. Servin