Sugihara Chiune

En novembre 1937, le Japon rejoint l’Axe, composé de l’Allemagne et de l’Italie. L’armée allemande envahit la Pologne en septembre 1939, marquant le début de la Seconde Guerre mondiale. En juillet, le Japon ouvre un consulat à Kaunas, alors capitale lituanienne. Le 21 juillet 1940, la Lituanie devient république soviétique.

En novembre 1939, Sugihara est nommé consul à Kaunas.

Sugihara est âgé de quarante ans (il est né le 1er janvier 1900), marié et père de deux garçons, le troisième naît en mai 1940 dans cette ville. C’est un homme d’expérience : il est membre du ministère des Affaires étrangères depuis 1923, année de son diplôme de l’institut Harbin, en Mandchourie, où est dispensé un enseignement spécialisé sur la Russie (langue, culture, économie) et où sont inculqués les « Trois Principes d’autonomie » – 1 : Ne pas être à la charge des autres ; 2 : Aider les autres ; 3 : Ne pas attendre de récompense –, formulés par son fondateur. A partir de 1932, il participe à des négociations entre l’Union soviétique, le Japon et la Mandchourie où il est en poste. Il est relevé de ses fonctions dans ce pays, à sa demande. « Les Japonais traitent mal les Chinois. Ils ne les considèrent pas comme des êtres humains. C’est cela que je ne supportais pas », rapporte son épouse Sugihara Yukiko dans le récit autobiographique qu’elle publiera, en 1993 à Tokyo: Visas pour 6 000 vies. Après deux ans à la légation japonaise en Finlande, il arrive avec sa famille, à Kaunas.

Sugihara observe, entre en relation avec des membres de la résistance polonaise, assiste aux exactions et aux persécutions principalement commises contre les Juifs allemands, polonais, lituaniens qui fuient, sont assassinés ou parviennent à se cacher. Par le consul des Pays-Bas, il apprend la possibilité d’un passage par l’Union soviétique et le Japon vers les îles de Curaçao néerlandaises. Comment aider ? Dès les 27 juillet, hommes, femmes, enfants, se pressent aux grilles du consulat. Sugihara les écoute avec attention. Leur situation le tourmente. Le lendemain, il envoie un télégramme à son gouvernement pour demander l’autorisation de délivrer des visas, ce que, le 31 juillet, il commence à faire, sans attendre la réponse. Elle sera négative, comme les deux suivantes. Cela ne l’arrête pas. Le 2 août, le ministère des Affaires étrangères japonais lui ordonne d’évacuer le consulat. Il passe outre. Il travaille seize heures par jour, les formulaires venant à manquer, il rédige les visas à la main, que, resté fidèle, un employé tamponne. Il fait la sourde oreille aux Soviétiques qui le somment de partir. Le 28 août, sur ordre de son ministère, il ferme le consulat, se réfugie à l’hôtel Métropolis où il continue de délivrer des visas, jusqu’à la date limite de séjour fixée par les soviétiques. Le 1er septembre 1940, par la fenêtre du train devant le mener à Berlin, il jette encore des visas et lance à ceux qui l’ont accompagné : « Pardonnez-moi, je ne peux plus écrire. Je prie pour votre sécurité. »

Consul d’un pays de l’Axe, en connaissance des risques, Sugihara a délivré quelque 200 visas, sauvant ainsi la vie de 6 000 Juifs. « Si je n’avais pas désobéi à mon gouvernement, j’aurais désobéi à Dieu », dira-t-il, des années plus tard.

En 1941, il est consul général en Prusse-Orientale. En 1942, en Roumanie. En 1945, lui et sa famille sont détenus par les Soviétiques dans un camp près de Bucarest, dans un autre, à Nakhodka. En février 1947, retour au Japon. En juin, sur incitation du ministère des Affaires étrangères, il prend sa retraite, sans un mot, comprenant qu’il s’agit d’une sanction. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il est traducteur, puis dirigeant dans des sociétés commerciales japonaises en relation avec l’URSS, jusqu’en 1975.

Sugihara a gardé le silence sur son acte de désobéissance à Kaunas jusqu’à un jour d’août 1968, quand il reçoit un appel téléphonique de l’un des cinq délégués des Juifs qui se pressaient au consulat de Kaunas, vingt-huit ans auparavant. L’homme est conseiller à l’ambassade du Japon à Tokyo et, comme beaucoup de ceux qu’il avait sauvé, il le recherchait. Les retrouvailles en sont à leur début. En 1969, le ministre des Affaires religieuses israélien lui remet une décoration. Avec les rescapés, Sugihara sort de son silence. Plusieurs d’entre eux déposent une demande pour que son nom soit inscrit sur le Mur du Jardin des Justes à Yad Vashem. En 1985, il est nommé Juste parmi les Nations. Trop fatigué pour effectuer le voyage en Israël, c’est son fils aîné qui reçoit la médaille sur laquelle est gravée la phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie, sauve l’humanité toute entière » et plante l’arbre qu’il a choisi dans le Jardin du mémorial. A qui le remercie, fidèle aux Trois Principes d’autonomie, il répond : « Rien d’extraordinaire à cela, je n’ai fait que ce que doit faire un homme. » Sugiraha Chiune meurt en 1986.
En 1989, à titre posthume, le prix des Hommes courageux lui est décerné par la fondation américaine ADL. En 1991, une stèle à sa mémoire est dressée et une rue de Vilnius porte son nom. En 1992, la réhabilitation de Sugihara est officielle au Japon, une statue commémorative est érigée sur la colline des Droits de l’homme dans la préfecture de sa ville natale.